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Photo du rédacteurVirginie Basecq

Quand l’histoire marque les corps – #blacklivesmatter

Elliot Meunier a écrit cet article durant les manifestations contre le racisme qui ont démarré suite à la mort de George Floyd lors d’une altercation avec un policier blanc.


Alors qu’une vague de manifestations pour plus d’égalité et de libertés voit le jour à travers le monde, j’ai eu envie d’évoquer la place que la danse a pu avoir dans de tels mouvements par le passé pour garder à l’esprit que cet art vivant évolue sans cesse et peut servir à exprimer son soutien à la communauté noire et plus généralement à s’engager dans toutes les grandes causes humanistes. 


Notre histoire commence dans les années 1960 aux Etats-Unis, alors qu’une révolution culturelle voit le jour dans les arts et dans la danse tout particulièrement. Les artistes protestent contre le racisme, le sexisme, la précarisation de certaines catégories sociales ou encore la guerre du Vietnam. Nous sommes dans un contexte politique délicat qui remet en question les codes et valeurs de la société. Les années 60 sont aussi les années mères d’une nouvelle approche sur le mouvement et sur l’esthétique de la danse : la danse contemporaine. Intéressons-nous aux méthodes utilisées par les chorégraphes pour contester la culture dominante et la politique du pays.



Comment les chorégraphes s’engagent-ils ? 


Les chorégraphes engagés de cette époque brisent les discours conventionnels et définissent de nouveaux concepts en utilisant un nouveau langage. Ils mènent une réflexion sur le corps dansant, repensent celui-ci pour que leurs créations deviennent des emblèmes de la contestation. Ils incarnent une forme de transgression des valeurs traditionnelles établies, à travers leur processus de création, qui devient un spectacle à part entière. Ils sont contre la transmission d’un objet fixe et fini et ne veulent plus d’un ancrage rigide dans une tradition de codes répétés reposant sur des conventions théâtrales admises comme vérités absolues. Le geste échappe à tout langage chorégraphique, il est familier, non chorégraphié. Ils défient la censure, l’acceptable pour sensibiliser un public bourgeois à des problématiques qui pouvaient lui être étrangères. En traitant de sujets quotidiens avec des gestes quotidiens, ou encore en montant nu sur scène. L’essentiel est d’ôter la danse pour que tout le monde puisse participer. Désormais, le danseur n’est plus un être insaisissable et virtuose, il redevient un corps avec ses limites.


L’attention portée au quotidien prend une dimension démocratique, elle devient un symbole d’égalitarisme. Les artistes adoptent une politique de non-discrimination, acceptent tout. Ils présentent ce qui jusqu’alors n’avait jamais été présenté sur scène : l’ordinaire. Claudie SERVIAN


Les chorégraphes avant-gardistes enlèvent au geste son harmonie et sa symétrie ainsi que son rapport à la musique. Les divers éléments qui entourent la danse sont eux aussi éliminés. Le contenu des chorégraphies est évacué et tout rapport au récit est rejeté : la chorégraphie ne raconte plus une histoire. Pour eux, la danse ne doit plus exprimer l’émotion car elle est conceptuelle, elle n’est plus expressive. Les chorégraphes utilisent le mouvement non pour sa signification, mais pour lui-même, comme objet. Ils font aussi disparaître l’espace scénique frontal, le public se situe tout autour.


L’oeuvre n’est pas un témoignage sur une réalité extérieure, elle est elle-même sa propre réalité Claudie SERVIAN


Il existe une continuité entre pratique gestuelle, enjeux esthétiques et enjeux idéologiques. Les artistes s’opposent au pouvoir, à la culture dominante et pour exprimer leur désaccord, ils bouleversent les cadres traditionnels de la représentation. On note par exemple l’émergence de créations anti-professionnelles qui accompagne un ressenti populaire vis à vis d’ « une société trop professionnalisée »… L’absence de jugement de valeur, de classification, d’exigence technique et le respect d’autrui font de ce mouvement un espace où règne l’égalité entre les membres, un lieu de transgression des valeurs jugées passéistes et élitistes, le lieu de toutes les audaces. La liberté de chacun est préservée et encouragée dans l’acte créatif.  Les non-danseurs réaffirment l’idéal égalitaire et démocratique de ces artistes. Ils aident à former un style de protestation politique attaché aux valeurs de liberté et d’égalité.



Qui sont – « ils » ?


Et bien on note par exemple : 

  • Simone Forti, qui utilise les rampements, les positions quadrupédiques.

  • Trisha Brown, qui a recours à la position allongée, aux déplacements verticaux le long des parois d’un mur. 

  • Lucinda Childs; dans ses chorégraphies, le danseur se déplace en lignes droites, en cercles, il semble effleurer le sol. 

  • Yvonne Rainer qui compose des modules de mouvements fonctionnels pour mettre en évidence la matérialité corporelle du mouvement.

  • Pour revenir aux sujets actuels de contestation, on peut citer Anna Halprin, animatrice du San Francisco Dancers Workshop, qui réunit autour d’elle des plasticiens, des musiciens, des architectes et des danseurs pour créer des danses contestataires, liées aux événements politiques comme la lutte contre le racisme et pour revendiquer l’égalité des droits. Son travail se matérialise dans les manifestations-spectacles Birds of America (1961), et Parades and Changes (1967).



Vers un renouveau artistique ?


Les chorégraphes avant-gardistes développent des idées de transgression pour accomplir un acte politique. Guidés par une vision critique de la société américaine, ces artistes tentent de construire une nouvelle communauté totalement impliquée dans le renouveau artistique.

On lit dans de nombreux articles que la danse s’inscrit dans l’histoire et marque les esprits sur son passage, mais cette période nous montre aussi que l’histoire et la société peuvent marquer les corps et leur vocabulaire. C’est comme si l’histoire s’inscrivait dans la danse et sur les corps des danseurs… Mais, si tout a déjà été déconstruit, pouvons-nous aller plus loin dans cette démarche et manifester avec la danse. Peut-on faire une rupture suffisante avec la danse contemporaine actuelle pour marquer l’histoire, les corps, et les esprits ? Je pense que oui. En effet, les chorégraphes de l’époque, malgré toutes leurs recherches et innovations pour le mouvement n’ont pas réellement provoqué le bouleversement qu’ils espéraient… Sans même mentionner l’institutionnalisation de la danse contemporaine dans les années 1970 (retrouvez cet article dans notre journal)… C’est ce que nous apprend Claudie SERVIAN dans son essai : 


En critiquant les valeurs de la culture classique et celles de la culture moderne, en choisissant de vivre à Greenwich Village, ces artistes se rendent compte qu’ils ne peuvent simultanément rejeter et utiliser la culture dominante. L’avant-garde des années soixante est assaillie de contradictions car rompre complètement avec le passé s’avère impossible. Elle entretient le rêve utopique de se libérer du passé en développant un nouveau langage, elle invente de l’inédit, sans pour autant traiter l’innovation en termes de rupture. Les connaissances préalables constituent un territoire commun et un savoir partagé mais transformé. Les artistes avant-gardistes assument un héritage artistique, celui des années cinquante, qui pose les jalons d’une danse nouvelle. Ainsi, les notions fondamentales véhiculées par ces chorégraphes comme le paysage urbain, la vie ordinaire et communautaire, la liberté vis-à-vis des règles et des canons artistiques, sont issues des années cinquante. Ironiquement leur projet avant-gardiste est de réinventer la tradition. Ils se servent de l’histoire tout en rêvant de se libérer du passé. Ils affrontent un dilemme, des paradoxes logiques. Ils cherchent à créer de nouvelles traditions, de nouvelles façons d’appréhender l’art. Leur sens de l’histoire est orienté vers l’avenir  Claudie SERVIAN


De plus, « l’anti-art », supposé plus facile à comprendre et à interpréter, n’aurait-il pas eu l’effet inverse ? Il n’est pas probant qu’une population populaire peu éduquée à la culture préfère un spectacle de danse contemporaine car il serait accessible, plutôt qu’une grand ballet classique, très visuel.



Pour conclure :


L’avant-garde américaine des années soixante, avec toutes ses contradictions, produit un bouleversement dans la culture américaine. Les chorégraphes souhaitent populariser l’art mais s’adressent inconsciemment à une élite apte à comprendre le bouleversement qu’ils opèrent et inversement, ils s’approprient le populaire pour en faire de l’art élitiste. Ils unissent ce qui se contredit : l’avant-garde et la culture populaire. Ils sont incapables d’échapper complètement à la culture bourgeoise tout en s’efforçant de la transformer radicalement. Les chorégraphes et artistes des années soixante ne reflètent pas passivement leur société, ils essaient de la transformer en créant un art nouveau, innovant et novateur. 

Je pense que le contexte actuel est plus que propice pour montrer notre désaccord avec les questions de notre temps : la crise climatique, la lutte raciale, les pandémies, la précarité ou encore le combat féministe. C’est à nous, danseurs, artistes de montrer la voie vers le monde de demain. Soit, comme les artistes de 1960 en montrant le reflet de la société dans notre danse : une danse simple, dénuée d’histoire, vidée de sens, ennuyeuse et provocante, comme leur société de l’époque. Ou bien en projetant nos envies dans nos chorégraphies, le temps d’un rêve ! Dans les deux cas, notre action individuelle contribuera à faire évoluer les mentalités, et il est à mon sens important de montrer sans attendre notre soutien aux communautés noires. C’est tout le but de cet article.


Elliot Meunier

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